Chaque fois que je prends la route pour me rendre à Québec, ou plus loin vers le sud, je ressens toujours un brin d’excitation à emprunter : la route du Parc. Le Parc, le seul et unique, que j’orthographie avec un P majuscule en guise de respect. Ce même Parc à qui je prête une âme tant son existence et son histoire sont intrinsèquement liées aux nôtres, peuple du royaume.
« Pis, le Parc était-tu beau ? »
Il a beau être éblouissant de panoramas à couper le souffle avec ses reliefs montueux, sa forêt boréale qui se déroule sur des milliers de kilomètres carrés, cette question mille fois posée démontre comme il jouit d’une sale réputation, notre Parc. Il est changeant, capricieux, voire dangereux.
Mon attachement pour le Parc a commencé toute jeune, mais pas de belle façon puisque je le haïssais de tout mon cœur de mal de cœur. Affligée du mal des transports, j’étais malade quatre fois entre Laterrière et Stoneham. Mais, c’était le prix à payer pour aller aux glissades d’eau à Valcartier. Je me savais tirée d’affaires rendue en face du Francinette.
Traverser le Parc ouvrait la porte de l’aventure. Et c’est ce sentiment qui m’habite encore à ce jour.
Aussi tard que dans les années 80, ce n’était pas encore banal de se rendre à Québec. Ça l’était encore moins dans les années 50 où une section du journal était consacrée aux grands déplacements des gens de chez nous !
« Mme Aline Tremblay de Saint-Jérôme est allée passer la semaine du 7 au 15 mai à Québec. Elle a séjourné chez sa sœur Mme Charles-Henri Prévost. »
Il convient de rappeler que si une visite dans la parenté hors région était digne de mention, c’était que la « vraie route » du Parc est arrivée seulement dans les années 30 pour s’adapter à la circulation automobile grandissante, et que ça pouvait prendre plus de 7 heures par beau temps pour faire Hébertville-Québec.
J’ai eu la chance de côtoyer le Parc de plus près, lors d’un été où, adolescente dans les années 90, j’ai travaillé au feu Super Frites de l’Étape, dans feu la vieille bâtisse qui brûlé en 2003. Je vous offre d’ailleurs ce jingle souvenir : Chez Super Frites vous pouvez acheter, un hot dog à 10 cennes. Désolée.
Il y avait également un bar à cette époque. Un bar. Parce que c’est si plaisant prendre un p’tit verre ou deux pour couper la route. Tsé.
La SQ y était postée en permanence, de même que des ambulanciers et d’une équipe de patrouilleurs dont le surnom suffisait à donner des cauchemars, les mâchoires de la vie, en l’honneur de l’outil utilisé pour découper la tôle des véhicules et en extirper les passagers accidentés. Ça illustre bien les risques de la route de l’époque.
Mes incessants voyages en autobus vers l’Étape pour me brûler les avant-bras dans les steamer de vapeurs m’ont permis d’apprendre par cœur les faits saillants kilométriques qui jalonnaient la première demie du grand Parc : pic de sel au 182. Fourche vers le Lac-St-Jean 166. Portes de l’Enfer 146. L’Étape 136. Ce savoir inutile m’aurait crissement bien fait paraître à Génie en herbes, si tant est qu’on m’eut posé la question.
Certains de ces repères ne sont plus tout à fait précis aujourd’hui, le chemin à deux voies ayant fait place à une ère moderne ou la Réserve Faunique des Laurentides est maintenant parcourue d’une autoroute clôturée avec du réseau presque tout le long, des saucisses dans le bacon et des cyclistes qui clenchent 243 kilomètres de côtes pour le plaisir. WTF.
On est loin du sentier des Jésuites initial des années mille six-cent-ish ou du chemin de bouette qui a existé autour de 1870 et qui permettait de traverser le parc en 48 heures, un 48 que je devine joyeux surtout si des enfants étaient présents.
Le Parc, c’est pas une route pour moi. C’est un passage. Une séparation autant géographique qu’émotionnelle, à laquelle tu ajoutes un facteur de risque selon qu’ils vente-mouille-neige-sloche-gèle-grésille-dégèle-brouillarde-orignarde.
C’est avec en tête tout le poids des anecdotes entendues ici et là que je pèse su’l gaz pour emprunter cette route mythique du Québec, à me rappeler la fois où j’ai entendu dire que le Parc avait fermé et que là… Jos Tremblay était dans son pick up avec des pneus su’a fesse, il neigeait tellement fort qu’y voyait pas trois pouces en avant du bumper. Le chemin, c’était de la glace vive, ma p’tite fille ! Pis quand Jos a vu une pouceuse sur le bord du chemin, y’est arrêté pour l’embarquer, (y pouvait pas laisser la pauvre fille mourir de frette dans cette température de chien!) En ouvrant la portière d’en arrière pour qu’a’ monte : a’ l’avait disparu ! Quand Jos y’est r’venu à maison, sa femme, a’ fallu qu’elle lui déplie les doigts un à un de su’l’volant tellement qu’ils sont restés crampés fort d’avoir croisé le fantôme du Parc. »
Encore aujourd’hui, quand je traverse le Parc, j’y vois ben plus qu’un trajet. Je renoue avec son histoire, j’ai une pensée pour ceux qui l’ont défriché, et je me convaincs que je fais partie des braves qui affrontent les caprices de la route pour atteindre sa destination.
Au fond, chaque traversée me rappelle d'où je viens… Mais aussi, et surtout, pourquoi je reviens.